Algernon Cecil Newton
(Londres 1880 - 1968 Londres)

Evening sky over Church street

Huile sur toile
92 x 76 cm

Provenance :
Paris, collection privé ;
Londres, collection privée.

 

Notice de l'oeuvre :

Né en 1880, Algernon Cecil Newton est issu d’une célèbre famille de marchands de couleurs anglais. Il étudie un an au Clare College de Cambrigde, avant de rejoindre la Franck Calderon’s School, spécialisée dans la peinture d’animaux, puis la London School of Art de Kensington.
En 1903, il expose pour la première fois à la Royal Academy. Mais alors qu’il cherche encore son style, sa carrière est interrompue par la Première guerre mondiale et par une grave pneumonie qui l’oblige à quitter Londres et à s’installer dans les Cornouailles jusqu’à son retour en 1919. Formé à l’école du plein-air et de la peinture « directe », Newton se sent techniquement limité et décide littéralement de réapprendre à peindre en copiant les maîtres anciens à la National Gallery. C’est là qu’il trouve enfin son inspiration dans la précision et la sensibilité des œuvres de Canaletto. Etudiant attentivement la préparation des toiles du védutiste italien, Newton développe une nouvelle manière qui rompt avec les préceptes de l’école et renoue avec la tradition. Il applique d’abord une préparation qu’il qualifie lui-même de « duochrome » : noir et bleu cyan pour les zones froides ou ombrées, sienne et ambre pour les zones chaudes ou éclairées. Le ton local est ensuite traité en glacis de couleurs pures, sans adjonction de blanc, simplement diluées à l’huile de lin. Ce procédé lui permet d’obtenir la luminosité et la transparence de l’aquarelle sans perdre la force et la solidité de la peinture à l’huile. A partir des années 1920, Newton se spécialise dans les vues de canaux et d’architectures des quartiers populaires de Londres (St John’s Wood, Hampstead, Kentish Town et Paddington) qui rencontrent un vif succès et lui valent le surnom de « Canaletto de Regent’s canal ».
Newton est élu membre de la Royal Academy en 1943. Il expose au NEAC (New English Art Club), au Royal Glasgow Institute of Fine Art et aux Cooling Galleries. En 1980, une importante exposition rétrospective est organisée par la Graves Art Gallery. Aujourd’hui, les toiles de Newton sont exposées dans les grands musées britanniques, notamment à la Tate Britain de Londres et à la Royal Academy.
Notre toile représente la vue des toits de Church Street, dans le quartier de Kensington, qu’Algernon Newton pouvait admirer depuis la fenêtre sur cour de son atelier, situé au dernier étage du 16 Vicarage Gate où il s’installe en 1947. L’originalité de ce tableau réside, pour une part, dans sa composition et la grande place accordée au vide. Le ciel occupe les cinq sixièmes de la toile, reléguant la vue architecturale à une mince bande située dans la partie inférieure. Mais elle tient surtout au pouvoir étrange qui se dégage de cette apparente trivialité. Le peintre distille, au gré de ce paysage familier, quelques notes dissonantes qui plongent le spectateur dans une atmosphère angoissante et quasi-surréaliste. Il en est ainsi de l’élément central de la composition, le ciel. Aussi illusionniste qu’en soit la représentation, le phénomène atmosphérique qui se déroule sous nos yeux renvoie à deux moments différents et opposés : le ciel, à la fois radieux et tourmenté, se couvre-t-il soudain avant l’orage, ou est-il en train de s’éclaircir après la pluie ? A cette première incertitude s’ajoute celle de la temporalité. Sommes-nous à la tombée de la nuit ou au lever du jour ? Cette succession de signes contradictoires déstabilise le spectateur dont le trouble s’accroît encore par l’instabilité spatiale de la composition. Coupée par les bords du tableau et scandée par les lignes verticales des cheminées, la façade des immeubles de Chruch street semble se dérouler à l’infini, au-delà des limites de la toile, créant un rythme linéaire qui s’oppose au mouvement tourbillonnant décrit par les nuages. L’angoisse qui naît peu à peu de cette atmosphère étrange est accentuée par le caractère désolée de la scène. La fumée qui s’échappe d’une cheminée, et la lumière d’une ampoule allumée, signalent cependant la possibilité d’une présence humaine. Malgré l’apparente familiarité du décor, la facture léchée et le rendu naturaliste du ciel, Newton transcende donc le réel pour faire naître chez le spectateur une inquiétude latente, qui rappelle la définition que Dali donnera de la mélancolie, cette« tragédie de la sérénité ».

Les paysages urbains peints par Newton à partir des années 1920 ne sont pas à proprement parler des « vues » de Londres, mais des visions. Aussi réalistes soient-elles dans leur iconographie, et parfaites dans leur exécution, ses compositions ne sauraient être réduites à des transcriptions modernes des « vedute » de son illustre prédécesseur vénitien, dont il étudie longuement la technique à la National Gallery de Londres, vers 1919-1920. Newton ne cherche pas tant à rendre la réalité topographique ou atmosphérique du Londres contemporain, qu’à traduire une humeur, un sentiment, une atmosphère mentale. Pour comprendre toute l’originalité de son art et l’étonnante modernité qui réside derrière ce métier si traditionnel et méticuleux, il convient de rappeler l’influence que Newton exerce sur le cinéma d’Alfred Hitchcock et la prééminence de ses « visions de Londres » sur les paysages surréalistes. Comme en témoigne notre tableau, les toiles de Newton dégagent une atmosphère d’inquiétante tranquillité, donnant l’étrange impression qu’un événement important vient juste de se produire ou risque de se produire dans un instant ; on pourrait parler d’une forme de suspense pictural. Chez Newton comme chez Hitchcock, la facture lisse et apparemment académique cache la réelle intention de l’auteur : faire naître chez le spectateur un sentiment d’attente angoissée.

Tout en s’inscrivant dans la tradition des vedute et des caprices architecturaux du XVIIIème siècle, les paysages urbains de Newton s’apparentent également aux architectures « métaphysiques » de Giorgio de Chirico. Mais chez ce dernier, l’impression d’étrangeté est plus immédiate : aux vues urbaines apparemment ordinaires et réalistes de Newton répondent, chez Chirico, des souvenirs d’architectures classiques déplacées dans un décor désertique. Cette ville rêvée, dont Newton et Chirico offrent deux visions complémentaires, deviendra l’un des sujets favoris des peintres surréalistes, comme René Magritte, Salvator Dali ou Paul Delvaux.

Lilas Sharifzadeh

Provenance:
Don de la veuve du peintre aux nouveaux propriétaires de l’atelier londonien de Newton situé à Kensington, au 15-16 Vicarage Gate, en 1972 ;
Vente Christie’s, Londres, Olympia, 26 février 2003, lot 241 ;
Paris, collection privée ; acquis en juin 2011 par un collectionneur privé anglais.


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