Jean-Baptiste-Camille Corot
(Paris 1796 - Paris 1875)

Papigno, montagnes et hauts plateau

Huile sur papier,
200 x 390 mm.

 

Notice de l'oeuvre :

Entre 1825 et 1828, Camille Corot effectue son premier voyage d’Italie. A la fin du mois de juin 1826, il quitte Rome par la via Flaminia pour se rendre en Ombrie, dans le village de Papigno, construit sur un affleurement de roche, situé à mi-chemin entre un haut plateau et la vallée de la Nera, avec sa célèbre cascade. Entre la mi-juillet et la mi-septembre, Corot peint à plusieurs reprises le village de Papigno et ses environs(1).

Notre tableau représente un éminent témoignage de la mutation fondamentale qui s’opère alors dans les paysages de Corot. Les études de Papigno constituent en effet une étape clé dans l’œuvre du peintre, qui abandonne peu à peu la perspective linéaire au profit d’une modulation chromatique des plans, d’une progression délicate des tons et de la lumière, qui guident insensiblement le regard vers l’horizon. Contrairement aux vues de Rome aux violents effets lumineux et aux rectangles beiges et ocre bien délimités, Corot manifeste ici un sens plus sûr de la composition et développe une palette subtile de teintes pastel qui unissent les formes dans une atmosphère enveloppante. Les heures du jour choisies pour travailler à Papigno participent de ce même changement de perspective. Aux puissants contrastes du soleil du midi, il préfère la lumière rasante et les modulations du petit-matin ou de la fin d’après-midi et travaille face à la lumière pour accentuer encore les effets de perspective atmosphérique.

La composition simplifiée organise l’espace en surfaces géométriques agencées selon deux axes de symétrie. Les deux montagnes, situées de part et d’autre de l’axe vertical du tableau, se rejoignent au centre de la composition en dessinant un triangle de ciel bleu. Celui-ci semble se refléter à son tour dans la surface triangulaire formée par la colline placée au centre de la composition, selon un axe de symétrie horizontal. Cet agencement presque abstrait des formes est rythmé par de subtiles variations dans l’éclairage des plans : le relief de gauche est laissé dans l’ombre tandis que celui de droite, moins élevé, est délicatement éclairé par la lumière du petit-matin. La colline centrale, dont seule la partie droite reste plongée dans l’obscurité, synthétise cette modulation binaire de la lumière.

On retrouve le même vocabulaire pictural et la même composition, puissamment agencée, dans la vue du lac de Piediluco, conservée à l’Ashmolean Museum (Oxford). Ces deux œuvres témoignent de l’étonnante faculté d’invention de Corot qui transcende la fonction purement descriptive de l’étude de paysage à l’huile pour livrer, dans un jeu de peinture pure, l’expression de sa propre sensibilité. Et l’on songe, face à ces vues de Papigno, à la révélation esthétique du narrateur de la Recherche du temps perdu dont on pourrait paraphraser l’exclamation :
« Ah ! Que j’aimerais aller à Papigno, ajoutai-je sans penser que le caractère si nouveau qui se manifestait avec tant de puissance dans les « Montagnes de Papigno » de Corot, tenait peut-être plus de la vision du peintre qu’à un mérite spécial de cette vallée. »(2)

Lilas Sharifzadeh

1)Alfred Robaut, in L’œuvre de Corot, catalogue raisonné, recense huit vues de la vallée de Papigno : R 2489 et 2558 (dessins) ; R116, R117, R118, R 119, R120 et R132 (peintures).
2) Cf. L’exclamation du narrateur face au chef-d’œuvre d’Elstir : « Ah ! que j’aimerais aller à Carquethuit ! » ajoutai-je sans penser que le caractère si nouveau qui se manifestait avec tant de puissance dans le « Port de Carquethuit » d’Elstir tenait peut-être plus à la vision du peintre qu’à un mérite spécial de cette plage. Marcel Proust, A la recherche du temps perdu, II, A l’ombre des jeunes filles en fleurs, Gallimard, NRF, p.394.

Provenance:
Vente posthume Corot (N° 288), à M. Thomas ; collections François Ravier ; collection Thiollier ; collection particulière japonaise ; acquis en février 2011 par un collectionneur privé français.

Literature:
Alfred Robaut, L’œuvre de Corot, Paris, 1905, catalogue n°119 :
"1826, Papigno, montagnes et hauts plateaux, 0,20 x 0,39"


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