Antonio de La Gandara
(Paris 1891- Paris 1917)

Le baiser maternel

Fusain
480 x 470 mm

Vendu


 

Notice de l'oeuvre :

Bibliographie :
Xavier Mathieu, Antonio de La Gandara. Un témoin de la Belle Epoque, Paris, 2011, p. 141 (reproduit).


Outre quelques vues de Paris et natures-­mortes, Antonio de La Gandara réalisa essentiellement des portraits. Témoin exceptionnel de son temps, il se constitua une clientèle issue de la haute société parisienne, et devint le portraitiste par excellence de la Belle Epoque. Il privilégia l’huile et le pastel, mais fut également l’auteur de lithographies et de dessins au fusain ou au crayon, à l’instar de notre œuvre.
Il naquit à Paris en 1861, d’un père espagnol originaire du Mexique et d’une mère française éduquée en Angleterre. Il fut admis à l’Ecole des Beaux-­Arts de Paris en 1868, et reçut l’enseignement de Cabanel et de Gérôme, qui eurent tôt fait de déceler le talent prometteur de leur élève.
Antonio de La Gandara se lia avec plusieurs personnalités de la Belle Epoque, notamment Rodolphe Salis, fondateur du Chat Noir, Rivière, Goudeau, Steinlen, Caran d’Arche et Wilette. Il exposa au Salon de la Société des Artistes Français dès 1882. L’artiste épousa Anne-­Catherine Wilms en mars 1885. La même année, il réalisa le portrait de Robert de Montesquiou, qui, en qualité de mécène, présenta quelques amis influents à l’artiste. La Gandara saisit alors l’opportunité de portraiturer la comtesse de Montebello, la baronne Adophe de Rothschild, Anna de Noailles ou encore Madame Gautreau. Il exposa ses œuvres dans différents salons et, dès 1992, à la Galerie Durand-­Ruel. Proche des grands écrivains et des musiciens de son temps, Antonio de La Gandara connut un succès considérable dans les années 1900, et il exporta ses œuvres aussi bien en Europe qu’aux Etats-­Unis. La Gandara marqua son attachement à la mode en collaborant à la Gazette du Bon Ton. Divorcé de sa première épouse, il se remaria avec Charlotte Saint-André en 1909. Il fut emporté par la maladie en juin 1917, âgé de cinquante-­cinq ans.

Notre dessin fut réalisé au début des années 1890, alors qu’Antonio de la Gandara jouissait déjà d’une importante notoriété. L’artiste y retranscrit un échange affectueux entre sa première femme, Anne-Catherine Wilms, et leur fille Raymonde.
Lors de son mariage avec Antonio de La Gandara en 1885, Anne-Catherine Wilms, orpheline de père et de mère, n’était âgée que de dix-­huit ans. Modèle privilégié de son époux, elle posa pour lui à maintes reprises, et ses traits sont reconnaissables dans plusieurs portraits. Source d’inspiration inépuisable pour l’artiste, elle apparaît, au cours des années 1890, dans certaines scènes de genre, comme la jeune fille endormie, l’Elégante regardant un bijou (ill. 1), la Dame en vert ou encore Chrysanthèmes. Sa grande beauté fut remarquée par nombre de contemporains, notamment Edmond de Goncourt qui salua la pureté de ses traits et sa chevelure blonde. Jean Lorrain admirait également « son visage expressif, ses cheveux d’or, ses yeux d’eau aux larges prunelles ».


ill. 1 : Antonio de La Gandara, Madame de La Gandara regardant un bijou,
fusain avec réhauts, Beauvais, musée départemental de l’Oise

 

Le couple eut deux filles : Raymonde, née en 1886 et Antonia, presque dix ans plus tard, en 1895. Anne-­Catherine et Antonio finirent par divorcer en 1898. Cette dernière se remaria avec Maurice Rouquet et donna naissance à deux autres filles, Maud et Rosemonde.
Raymonde, très proche de son père, fut souvent portraiturée par ce dernier. Elle posa notamment pour la petite fille en jaune, où transparaissent l’innocence et la timidité de l’enfant, représentée prise en flagrant délit de péché de gourmandise (ill. 2 et 3).

 

Antonio de La Gandara réalisa une série de dessins et de lithographies à l’effigie de sa femme, parfois accompagnée de leur fille Raymonde, dans le courant des années 1890. Il fit preuve d’un talent particulier dans ce domaine. Certains tirages furent publiés dans l’Epreuve de 1895, et les lithographies attirèrent l’attention du public lors des expositions Art Nouveau chez Bing. Ces œuvres d’une grande délicatesse étaient très recherchées des collectionneurs comme Montesquiou, Roger Marx, Pierre Decourcelles, Edmont de Goncourt et le docteur Jean Samuel Pozzi. La Gandara réservait généralement ses premiers tirages à ces deux derniers.

Notre œuvre peut être rapprochée de deux lithographies (ill. 4 et 5). On y perçoit la même justesse des attitudes, le même dessin délié et le même aspect vaporeux et estompé. Cependant, il est difficile de savoir si notre dessin fut réalisé en vue d’être gravé, car aucune lithographie d’après notre dessin n’apparaît dans le catalogue établi par Gabriel Badea-­Paun1. Henri de Régnier, à l’issue d’une visite dans l’atelier de La Gandara, nous renseigne sur le procédé de l’artiste dans son Journal de janvier 1895 : « La Gandara m’a parlé longuement de la lithographie, de ses procédés, du dessin qu’on y fait, puis qu’on y efface et qui reparaît au rouleau avec un velouté, comme si des queues de chat y avaient, par endroit, promené de la suie, et ces choses délicates, frôlées, qui n’ont pas la griffe de l’eau-forte, se dessinent sur des pierres énormes lourdes à servir de tombe presque, à la personne qui y est représentée, légère comme une ombre... 2».

Dans ce type d’œuvre, Antonio de La Gandara s’attache à représenter les physiques graciles de son épouse et de sa fille. Il tire parti des boucles brunes de Raymonde, et de la finesse du visage, de l’élégance du cou et des mains d’Anne-­Catherine, pour aboutir à des œuvres d’un grand raffinement. L’artiste fait preuve d’une certaine retenue et d’une grande économie de moyens dans cette série, où les personnages, représentés sans incertitude ni reprise, se détachent sur un fond neutre, alors que le mobilier n’est qu’à peine suggéré. Il joue fréquemment sur les courbes d’un dossier de fauteuil, parfois orné de moulures en têtes de cygne, pour souligner avec habileté une attitude gracieuse ou le galbe d’une silhouette.
 



L’amour maternel était un thème cher à l’artiste, qui réalisa certains portraits de femmes en compagnie de leurs enfants. Dans le portrait au pastel de Madame Klotz et sa fille (ill. 6), daté vers 1897, Antonio de La Gandara rend avec brio la complicité des modèles, par les jeux de mains rapprochées et la tendresse des regards. A l’instar de ce portrait, notre œuvre se démarque dans la production de La Gandara, par son aspect intime et l’analyse du sentiment maternel.




ill. 6 : Antonio de La Gandara, Portrait de Madame Klotz et sa fille, vers 1897, signé (en bas à droite), 
pastel, 61 x 47 cm, 
Bruxelles, collection particulière

 

La Gandara entretient une certaine proximité avec l’esthétique symboliste. En effet, le traitement de ses dessins, fusains et pastels, marqués par leurs formes embrumés, leur graphisme subtil et leur atmosphère de rêverie, reflètent le contexte idéaliste et intimiste de la fin du XIXème siècle.
Cette tendance des années 1890 s’observe également dans ses portraits peints dominés par des harmonies de blanc, et marqués par une certaine sobriété de composition, à l’instar du portrait de Madame Gautreau (ill. 7). Ses œuvres montrent une certaine proximité avec celles de son ami Whistler. Ses paysages de la fin du siècle représentant des lieux familiers sont empreints d’une certaine poésie.

 



ill. 7 : Antonio de La Gandara (1861-­1917), Portrait de Madame Gautreau,
1897, huile sur toile, 216 x 116 cm, Albuquerque, collection particulière


 

Dans notre dessin, Antonio de La Gandara démontre sa capacité à produire des œuvres secrètes et intimes et déroge à son image de portraitiste mondain. Capable de délaisser les émotions du beau monde et les agitations nocturnes du Cabaret du Chat Noir, il trouve ici son inspiration dans l’ambiance tranquille du foyer familial, havre de paix salutaire.


Amélie du Closel


1 Gabriel Badea-­Päun, « Les estampes d’Antonio de La Gandara (1861-­?1917) : un intermezzo lithographique », Nouvelles de l’estampe, juillet-­septembre 2006, n° 207.
2 Henri de Régnier, Les Cahiers inédits, 1887-­1936, Paris, Pygmalion-­Gérard Watelet, 2002, pp. 419-­420.


 


Hubert Duchemin
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