Charles François Sellier
(Nancy 1830-1882 Nancy)

Portrait de femme en profil perdu

huile sur toile,
31 x 22 cm

Vendu

 

Notice de l'oeuvre :

Charles Sellier est admis à l’école de peinture et de dessin de la ville de Nancy en 1845. Soutenu par son professeur, Louis Leborne, il se démarque rapidement de ses camarades. A partir de 1849, l’artiste fréquente les cours d’anatomies de l’Ecole Préparatoire de Médecine de Nancy et obtient une bourse qui lui permet d’entrer à l’école des Beaux-Arts de Paris. Il suit l’enseignement de Léon Cogniet et parvient rapidement à un grand niveau d’habileté, comme en témoignent ses portraits de jeunesse où l’on décèle déjà une maîtrise parfaite du clair-obscur. Sellier est remarqué au Salon de 1857, où il expose cinq tableaux : l’Intérieur de cuisine est remarqué pour son étrange atmosphère ténébreuse, et Cogniet s’enthousiasme pour le portrait de la mère de l’artiste (ill. 1), qu’il compare à un Rembrandt. En 1856, Sellier est lauréat du prix Adolphe Moreau. Le Prix de Rome lui est décerné l’année suivante. Lors de son séjour à la villa Médicis, il se lie avec Gaillard, Carpeaux et Henner. La forte intensité lumineuse qu’il découvre en Italie change sa perception du monde extérieur et le pousse à employer une gamme chromatique plus large. Il se livre à une série de portraits d’italiens qui témoignent de sa fascination pour l’intériorité de ses modèles (ill. 2 et 3).


En 1864, Sellier est de retour à Paris et il acquiert une indéniable notoriété. Il honore de nombreuses commandes de portraits à Metz, dans les Vosges, en Normandie et à Monaco. Son activité de portraitiste mondain lui assure une certaine aisance financière. L’artiste fait preuve d’une grande conscience d’exécution : « une fois la tâche entreprise, il la poursuivait jusqu’à ce qu’il en fût complétement satisfait, y consacrant cinquante, cent, cent-cinquante séances même, s’il le fallait. Préoccupé avant tout du milieu dans lequel son modèle devait trouver l’éclairage et l’entourage les plus favorables à son caractère... le peintre prenait alors son fusain et arrêtait les grandes lignes de la figure, puis il les modelait au crayon et ne commençait à peindre que lorsqu’elles étaient arrêtées sous une forme définitive1.» Sellier réalise également quelques grandes compositions et tableaux de chevalet d’inspiration biblique, mythologique, historique ainsi que des paysages. Entre 1865 et 1870, Sellier prend la direction de l’Ecole municipale de dessin et de peinture de Nancy. Progressivement, il s’éloigne de ses mécènes et commanditaires, et multiplie ses séjours à Nancy, avant de s’y installer définitivement et de s’éteindre quelques mois plus tard, en 1882.

Notre mystérieux portrait de femme en profil perdu est évocateur de l’art singulier de Charles Sellier. Le peintre emploie ici un camaïeu de bruns et de noirs profonds. Ces tonalités sont typiques de l’artiste qui apprécie les fonds colorés de sienne brulé. Sellier accorde une grande importance à la recherche technique, mais ses audaces et ses connaissances limitées en chimie ont conduit à la destruction de nombre de ses tableaux. Comme en témoigne notre toile, très sombre, l’utilisation de noir de bitume a conféré à ses œuvres une sorte d’opacité ténébreuse.
Notre portrait témoigne de l’intérêt du peintre, sensibilisé très tôt à la peinture hollandaise et flamande du XVIIème siècle, pour Rembrandt dont il s’inspire pour la technique de l’éclairage. L’artiste épure l’espace en plaçant ses modèles sur un fond neutre. Il met au point un clair-obscur nuancé, avec de subtils passages entre l’ombre et la lumière. La transparence du visage illuminé s’oppose à la masse opaque formée par le dos et la chevelure de la jeune fille. Ce procédé consistant à opposer les chairs livides des visages aux cheveux noirs des modèles est courant chez Sellier. Les tonalités brunes et cuivrées, l’effet de lumière sur la carnation de la jeune fille, la poésie et le mystère qui se dégage de l’œuvre ainsi que le subtil sfumato qui trouble les contours sont des caractéristiques que l’on retrouve également chez le peintre Jean-Jacques Henner (ill. 4). Les silhouettes floues de Sellier sont positivement remarquées par la critique de l’époque : selon Victor Cousin, « les fantômes de l’imagination ont un vague, une indécision des formes, qui émeut mille fois davantage que la netteté et la distinction des perceptions actuelles2. »

La forme du portrait chez Sellier évolue constamment au cours de sa carrière. Dans les années suivant son retour de Rome, vers 1865-1870, ses modèles, qui semblent absorbés par une intense réflexion, se caractérisent par leurs regards absents (ill. 5 et 6). Ces regards lointains renforcent la solennité des personnages. Les attitudes des personnages sont statiques et les gestes discrets. Il privilégie une ambiance de paix et de recueillement. La lumière surnaturelle qui émane du visage de la femme à la perle (ill. 6) et la présence de la croix autour de son cou suggèrent une réflexion hautement spirituelle. Sellier, qui considère l’apparence physique comme le reflet de l’âme, n’hésite pas à embellir ses figures féminines par l’ajout d’accessoires (chapeau, boucles d’oreilles, fleurs dans les cheveux...) (ill. 5, 6 et 7).

 


Dans les dernières années de sa vie, Sellier, en proie à des soucis de santé, n’attache finalement d’importance qu’à l’essentiel et regarde le monde qui l’entoure avec une sensibilité nouvelle. A la fin des années 1870 et au début des années 1880, Sellier fait disparaître le contour des yeux, et parfois même les oreilles et le nez de ses modèles afin de retranscrire l’idée de la méditation (ill. 7 et 8). Il adopte l’indéfini et évoque la communication intérieure avec l’âme.
 


Notre portrait, qui peut être considéré comme une œuvre tardive, marque l’aboutissement des recherches de Sellier : en adoptant le profil perdu, il va plus loin encore en faisant complètement disparaître les caractéristiques de la physionomie du modèle puisque le visage de la femme inconnue n’est quasiment pas visible : vu de dos, il est légèrement tourné sur le côté, aux trois- quarts caché par l’arrière de la tête. Le visage tendant à se dérober, la question de l’identification du modèle se pose et la nature même du portrait peut être remise en cause. En effet, le genre du portrait se définit habituellement comme la représentation d’une personne dont les traits sont individualisés et dont l’identité est l’objet de l’œuvre. De plus, le cadrage et la posture témoignent généralement que l’intention est la portraiture. En adoptant le type du profil perdu3, qui oscille entre portrait et évocation imaginaire, Sellier confère ainsi à son modèle un sentiment d’absence. Au cours du dernier quart du XIXème siècle, d’autres peintres comme Stevens ou Carolus-Duran ont été séduits par ce type de portrait permettant de situer les figures dans un monde autre que celui du spectateur, bien qu’il s’agisse plus spécifiquement d’études de nuques (ill. 9 et 10). Le portrait de dos pénètre une autre forme d’intimité, celle des pensées et des songes. Ainsi, en ne laissant aucune prise à l’échange, Sellier donne libre cours à l’imagination. Il cherche à aller au delà des apparences afin de saisir avec sensibilité la vérité intérieure du modèle. En se confrontant au mystérieux et au mélancolique, Sellier, qui insiste sur la dimension psychique et les états d’âme du modèle, participe au goût pour l’esthétique symboliste. Notre œuvre, d’un lyrisme rare, marque l’aboutissement des recherches incessantes de Sellier, qui ouvre la voie aux poètes de l’âme.

Amélie du Closel


 

1Charles de Meixmoron de Dombasle, Discours de réception à l’Académie de Stanislas.
2 Victor Cousin, 1853, p. 149.

3 Apelle de Cos serait l’un des premiers peintres à avoir utilisé ce type de portrait au IVème siècle avant J.C.




Bibliographie en rapport :

Catalogue illustré des œuvres de C.-A. Sellier (1830-1882) exposées à l’Ecole des Beaux-Arts, décembre 1884, catalogue d’exposition, Paris, 1883.
C.-A. Sellier : 1830-1882, musée de l’Ecole de Nancy, 26 novembre 1982 - 28 novembre 1983, catalogue d’exposition, Nancy, 1982.
Rémi Cariel, René Armellino, L’univers singulier de Charles Sellier, un peintre nancéien du XIXème siècle, Vic-Sur-Seille, musée départemental Georges de La Tour, 3 juin-4 novembre 2007, Nancy, Metz, 2007.
Etrange visage : portraits et figures de la collection Magnin, Dijon, musée national Magnin, 7 juin –  7 octobre 2012, catalogue d’exposition, Paris, 2012.
L’Ange du Bizarre, le romantisme noir de Goya à Max Ernst, Städel Museum, Francfort-sur-le-Main, 26 septembre 2012 – 20 janvier 2013, catalogue d’exposition, Paris, 2012.


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