Charles Revel

L'avare

Huile sur toile,
61,5 x 100,5 cm,
Signé (en bas à droite) « Ch. Revel »

Prix sur demande

Provenance :
Vente Paris, Drouot rive gauche, Labat, 24–25–26 mars 1980, lot 127.
Vente Enghien, 29 mars 1981, lot 132.

Expositions :
Paris, Salon de 1875, n° 1714.
Bordeaux, galerie l’Horizon Chimérique, Objets extraordinaires, 12 décembre 1991 – 12 janvier 1992, n°6.

Vendu

 

Notice de l'oeuvre :

Charles Revel, originaire de Lyon, étudie à l’école des Beaux-Arts de sa ville natale et suit la formation de Bonnefond. Le peintre participe au Salon entre 1864 et 1880. Il expose notre œuvre au Salon de 1875, en même temps qu’un portrait d’Eliphas Lévi (1810-1875), ecclésiastique français et grande figure de l’occultisme (ill. 1).
 

Dans le catalogue du salon de 1875, le titre de notre tableau (l’Avare) est suivi d’une description de la scène : " Un homme avait entassé toutes sortes de richesses dans un caveau connu de lui seul et dont la porte se refermait d'elle-même. Un ressort caché permettait de la rouvrir. Un soir, ce ressort ne put fonctionner, et le malheureux mourut sur ses trésors inutiles, sans que personne pût entendre ses cris et lui porter secours. "
Cette anecdote reprend un fait historique réel datant de la fin du règne de Louis XIV. La mort tragique de Claude Pécoil, prévôt des marchands à Lyon, est relatée par Saint Simon dans ses Mémoires : « Le duc de Brissac épousa en même temps mademoiselle Pécoil, très riche héritière, dont le père était mort maître des requêtes, (...) Le père de Pécoil était un bourgeois de Lyon, gros marchand et d’une avarice extrême. Il avait un grand coffre-fort rempli d’argent dans un fond de cave, fermé d’une porte de fer à secret où on n’arrivait qu’en passant d’autres portes. Il disparut un jour si longtemps que sa femme et deux ou trois valets ou servantes qu’ils avaient, le cherchèrent partout. Ils savaient bien qu’il avait une cache, parce qu’ils l’avaient quelquefois surpris descendant dans sa cave un martinet à la main, mais jamais personne ne l’y avait osé suivre. En peine de ce qu’il était devenu, ils y descendirent, enfoncèrent les dernières portes et trouvèrent enfin celle de fer. Il fallut des ouvriers pour l’enfoncer ou l’ouvrir, en attaquant les côtés de la muraille ou elle tenait. Après un long travail ils entrèrent et trouvèrent le vieil avare mort auprès de son coffre-fort, qui apparemment n’avait pu retrouver le secret de la serrure après s’être enfermé en dedans, et n’avait pu l’ouvrir1. »

Cet évènement inspire André Grétry qui compose en 1770 un opéra-bouffon en deux actes, Les deux avares, dans lequel l’un des deux avares enferme l’autre dans le caveau d’une pyramide. Pendant tout le XIXème siècle, cette histoire est systématiquement évoquée pour illustrer le thème de l’avarice : de nombreux dictionnaires éducatifs compilant des anecdotes historiques2 relatent ce fait, qui se mue en une sorte de conte populaire moralisateur. Claude Pécoil, (son nom n’est jamais mentionné), devient l’archétype même de la figure de l’avare. L’avarice est ainsi associé à un type physique bien précis : « front bas, plissé, safrané, cheveux noirs, rudes, sales, oreille de momie, tempes caves, yeux caves, sourcils épais et menaçants, nez long, pincé, joues creuses et sillonnées de rides, rides divergentes à l’angle gauche de l’œil, teint de buis, bouche scorbutique, dent jaunes, menton pointu, cou maigre, nerveux, dos courbé, tempérament sec, regard faux et furtif, la tête et les yeux presque toujours baissés ou de côté, sourire de hyène qui grince3. »

Dans notre œuvre, l’attention portée au costume et à l’environnement, ainsi que l’expression d’effroi de l’avare, rendue avec un réalisme saisissant, renvoient au style académique de Laurens à la même période. Ce dernier remporte un franc succès au salon de 1872 avec Le Pape Formose et Etienne VII (ill. 2) : l’âpreté du décor et la somptuosité macabre du pape séduit la critique. Il expose également, au salon de 1875, l’excommunication de Robert Le Pieux (ill. 3). Laurens se plait à exhumer de l’histoire des faits peu connus qu’il illustre avec un grand souci d’exactitude, et cherche pour cela des détails palpitants dans les mémorialistes, les Pères de l’Eglise, l’histoire des papes, la vie des saints, etc., avec une prédilection particulière pour les épisodes tragiques du Moyen Age. On retrouve, dans notre toile, le caractère implacable et glacé adopté par les peintres historicisants contemporains, souvent attentifs aux mystères de l’obscurité et de la nuit, aux atmosphères angoissantes et aux horreurs romanesques.


 

Amélie du Closel



1 Mémoires complets et authentiques du duc de Saint Simon, sur le siècle de Louis XIV et sur la régence, tome dix- huitième, Paris, rééd. 1829, p. 288-289, année 1720.
2 Sallentin, L’improvisateur français, tome XVII, Paris, 1805 ; Petit dictionnaire historique et chronologique d’éducation, ou recueil alphabétique des traits d’histoire ancienne et moderne, les plus propres à former le cœur et l’esprit de la jeunesse, Paris, 1819 ; Nouveau lavater complet ou réunion de tous les systèmes pour étudier et juger les hommes et les jeunes gens, Paris, 1840 ; Encyclopédiana. Recueil d’anecdotes anciennes, modernes et contemporaines tiré de tous les recueils de ce genre publiés jusqu’à ce jour de tous les livres rares et curieux touchant les mœurs et les usages des peuples, ou la vie des hommes illustres ; des relations de voyages et des mémoires historiques, des ouvrages des grands écrivains, de manuscrits inédits, Paris, 1843, etc.)
3 Nouveau lavater complet ou réunion de tous les systèmes pour étudier et juger les hommes et les jeunes gens, Paris, 1840.




Bibliographie en rapport :
Le Moyen Age et les peintres français de la fin du XIXème siècle : Jean-Paul Laurens et ses contemporains, Château-musée de Cagnes-sur-Mer, 3 mai – 8 juin 1980, catalogue d’exposition, Cagnes sur Mer, 1980.

 


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