Juana Romani
(Velletri 1867-1923 Suresnes)

Autoportrait

huile sur panneau,
(fragment du panneau avec la signature au verso),
63 x 50 cm

Vendu

 

 

Notice de l'oeuvre :

Juana Romani nait à Velletri en Italie. En 1877, elle s’installe avec sa mère et son beau-père Thémistocle Romani dans le quartier latin à Paris. Dès son plus jeune âge, elle pose dans de grandes écoles d’art. Douée d’un indéniable talent pour le dessin, elle est invitée par le sculpteur Filippo Calorossi à rejoindre l’académie qu’il a lui même fondée. Elle pose pour Alexandre Falguière (ill. 1) et Carolus Duran. Jean-Jacques Henner et Ferdinand Roybet, dont elle est l’élève, la prennent également pour modèle (ill. 2 et 3). Emile Durand-Gréville rapporte à ce sujet : "Henner m’a montré une tête de face aux grands yeux, au teint blanc mat, aux cheveux d’un roux ardent (grandeur nature). Étude, ou plutôt fantaisie d’après une Italienne de dix-sept ans, très jolie, celle-là même qui a posé pour Falguière la Diane Chasseresse. Elle est devenue depuis un peintre de talent. C’est Melle Juana Romani."
 



Juana Romani devient la maîtresse de Roybet en 1884. A l’âge de dix-neuf ans, elle cesse finalement son activité de modèle pour se consacrer pleinement à son art. La jeune femme peut être considérée comme l’une des meilleures élèves d’Henner et de Roybet. Influencée par ces derniers, elle parvient toutefois à s’éloigner de ses maîtres en accordant une grande importance à la description d’étoffes luxueuses et chatoyantes. Elle expose régulièrement au Salon de la Société des artistes français de 1888 à 1904. Juana Romani s’impose en quelques années comme la portraitiste du tout Paris fortuné. Elle réalise des effigies de la princesse Joachim Murat, de la duchesse de Palmella, de la Comtesse de Briche, etc. Elle peint également des figures de jeunes filles de la Bible ou de la mythologie, cadrées à mi-corps, séductrices, parées et richement vêtues (ill. 4 et 5). Ces portraits, hors du temps, plongent les modèles dans des atmosphères mystérieuses, parfois théâtralisées et proches de certaines œuvres préraphaélites.
 

Notre tableau représente un autoportrait de Juana Romani : on discerne les traits de la jeune femme, reconnaissable à son visage triangulaire, ses grands yeux noirs et sa longue chevelure rousse. Notre œuvre peut être rapprochée d’un autre portrait de l’artiste, dans lequel le regard intense qui fixe le spectateur, l’extraordinaire chevelure rousse et la pose du modèle confèrent à ce visage, empreint de sensualité, une impression de force intérieure inquiétante (ill. 6). Dans notre œuvre, les longs doigts effilés, presque crochus, le visage émacié, fortement modelé par une lumière intense, le sourire énigmatique de la jeune femme dénotent un goût pour l’esthétique macabre en vogue à la fin du XIXème siècle. La palette restreinte et le puissant clair-obscur renforcent cette sensation de mystère et d’étrangeté.
 


Par sa dimension symboliste, notre portrait va au delà des portraits mondains de Juana Romani et du portrait du musée Henner : le visage blême, les paupières baissées évoquent le sommeil, la mort, le voyage intérieur, le rêve et la méditation. Les yeux sont traditionnellement la métaphore du miroir de l’âme. Ici, Juana Romani clôt volontairement cette porte d’accès à l’œuvre. Tout passe par la chevelure, comme dans les poèmes de Baudelaire, La Chevelure et Un hémisphère dans une chevelure, tirés respectivement des Fleurs du Mal et du Spleen de Paris. En effet, la puissance évocatrice de la chevelure féminine ouvre les portes de l’imagination. Comme dans le poème de Baudelaire où le parfum des cheveux conduit le poète à la rêverie, les yeux clos et le sourire pénétré nous plongent dans un ailleurs, au-delà du réel, et nous invitent à une expérience sensible : les yeux sont fermés, libérant les autres sens, l’ouïe, l’odorat et le toucher représenté par les doigts enfoncés dans la poitrine. L’expression et le geste de la jeune femme évoquent un état de transe, et sa nudité renvoie à un paradis perdu. En se représentant telle une Marie-Madeleine, à demi-nue, baignée dans un intense clair-obscur et s’abandonnant dans une sorte d’extase, Juana Romani confère une dimension spirituelle à son œuvre, et introduit un parallèle ambigu entre l’amour mystique et l’érotisme.

Amélie du Closel


Hubert Duchemin
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