De Latour en Scilla : un Diogène cherche son peintre... et le trouve !
Depuis quelques mois, l’affaire avait fuité. Normal : un nouveau Georges de Latour avait été découvert ! Où ? Chez qui ? Par qui ? Impossible d’en savoir plus. Jean-Pierre Cuzin, interrogé à l’occasion d’un bon déjeuner, ne moufte pas, nous signifiant qu’il ne peut pas en parler. Pierre Rosenberg, plus disert, nous invite chez lui à venir voir la photo qu’il avait découpée et annotée du catalogue de la vente où le tableau était apparu (Christie’s Londres, 22 septembre 1999, lot 542, « circle of Cavarozzi »). Goguenard, il pointe la note qu’il avait prise à l’époque : « je connais cette main ! » Je réplique : « pas facile à comprendre ». « Il faut le voir », rétorque-t-il. Nous en restons là, interdits quand même...
Attribué à Georges de Latour par Jean-Pierre Cuzin,
Diogène,
huile sur toile,
99,9 x 121,4 cm,
Collection particulière.
Quelques jours plus tard, Guillaume Kientz nous montre des photos de détails : une matière grasse et molle sur le front de Diogène, un dessin approximatif au niveau des mains (en tout cas pas ciselé, tranchant, comme attendu).
Puis le Burlington Magazine publie l’article tant attendu de Jean-Pierre Cuzin dans lequel celui-ci propose d’y voir le premier Georges de Latour et s’ouvre à la possibilité d’un séjour de l’artiste en Italie.
Nous aimerions, malgré le profond respect que nous éprouvons pour l’auteur, exprimer un point de vue inverse : un tableau tard, vers 1660, retardataire donc, d’un artiste italien et non pas tôt, vers 1620, d’un Français en Italie…
La première chose qui frappe, lorsque l’on embrasse la totalité de la composition, c’est la dette envers Ribera et sa série de philosophes (frontalité du modèle, présence physique des livres, gamme colorée restreinte, éclairage violent) généralement datée vers 1630. Mais là où Ribera fait simple et efficace, notre artiste force, complique, exploite mal l’espace.
Giuseppe de Ribera
(1591 – 1652)
Euclide, vers 1630–1635,
huile sur toile,
125,1 × 92,4 cm,
The J. Paul Getty Museum, Los Angeles
Ensuite, il y a le sujet, philosophique, contraire aux préoccupations du maître Lorrain. C’est l’histoire de l’église et son corollaire de mystères qui intéresse Georges de Latour, pas les leçons de vie exprimées par Diogène et sa bande.
Enfin, il y a le dessin, nous l’avons évoqué, insatisfaisant, l’organisation de l’espace, les gestes (contraints), l’expression (absente)…
C’est Jacques Leegenhoek, éminent connaisseur du caravagisme, -qui ne savait rien de l’affaire et à qui nous avons soumis l’image- qui synthétise nos pensées en proposant de rapprocher l’œuvre d’Agostino Scilla (1629-1700), un suiveur sicilien de Ribera ! Magie de l’iPhone, il suffisait d’attraper l’image d’un de ces tableaux sur internet pour faire le lien :
Agostino Scilla,
Portrait d’un scientifique barbu,
Huile sur toile,
118 x 95 cm,
Collection particulière
Nul doute qu’à la rentrée le débat va démarrer, car, pour l’instant, pas un bruit (seul un tweet @Mwilc mais qui a fait pschitt !). Il est vrai qu’il n’est pas simple de penser contre ses éminents maîtres (c’est sans doute la raison pour laquelle le comité de lecture du Burlington Magazine, puis la Gazette de Drouot, ont souscrit à la thèse sans ciller). Jean-Pierre Cuzin et Pierre Rosenberg sont les plus grands connaisseurs de peinture française en général, et, avec Dimitri Salmon, de Georges de Latour en particulier. Cependant, n'ont-ils pas pu être victimes, comme nous le sommes tous, du syndrome de la « découverte rêvée », fantasmée, objet de notre récente table ronde du Festival d'Histoire de l'Art?L’œuvre seule finira par parler…